Ces gens qui parlent fort

J’ai toujours cru à une théorie selon laquelle la puissance de voix utilisée par les gens en public est bien souvent inversement proportionnelle à leur capacité intellectuelle. Attention, ne vous méprenez pas : j’ai également croisé bon nombre d’imbéciles s’exprimant à volume modéré, au même titre que l’on rencontre des commerçants honnêtes ou des patrons philanthropes.

N’importe comment, aboyer ouvertement la triste monotonie de ses journées mornes à la façade froide d’une balise à con portative 1 n’a jamais appuyé l’affirmation selon laquelle l’homme dominerait l’animal par sa faculté de parole, à défaut de le dominer par sa faculté de réflexion. Mais ces partisans de la discussion par BCP 2 interposée — distinguables entre autres par l’évocation bruyante de leur menu du soir face au rayon cassoulet/saucisses-lentilles — ne sont pas les seuls vrille-tympans à officier dans l’entourage quotidien des honnêtes chuchoteurs.

L’autre catégorie de joyeux tympanicides sans vergogne dont je veux parler constitue ces individus qui pensent, par une logique mystérieuse, que l’écoute de leur verbe nécessite l’anéantissement sonore par KO de tout son parasite. Ils n’auront de cesse pour exposer leurs pensées — qui, si on se fie à la théorie évoquée plus haut, n’ont guère de chance de briller par leur perspicacité —   d’augmenter leur volume jusqu’à saturation afin de ne laisser aucune chance à leurs pauvres interlocuteurs de s’insérer dans ce mono-dialogue crispant.

Ces énergumènes sont la lie de la parole, ils sont à la discussion ce qu’est le Parti Communiste à la Chine ou les 4×4 flanqués de pare-buffles à la route. Et pour peu que vous finissiez par exaspération à beugler plus fort qu’eux, ils vous rétorqueront, avec cette expression de bêtise qui leur est propre : « Hé, c’est pas la peine de crier !»

1 Appelé aussi communément « téléphone portable » (cf. Le cinéma)
2 Non mais suivez un peu, nom de Dieu !

La religion

Ah, j’aime à me rouler sans retenue dans la polémique la plus virulente ! Je me réjouissais donc d’attaquer un jour cette diatribe assumée contre le plus vieux garde fou – non, ne cherchez par le tiret – du monde.

Non mais soyons sérieux deux minutes, quel espèce de Dieu sain d’esprit exhorterait ses fidèles suiveurs à arborer fièrement des bouts de ficelle tressés pendant lascivement du pantalon, un accoutrement de Belphégor grillagé ou une calvitie volontaire ? Quoi que ces derniers bedonnants puissent la plupart du temps s’envoyer une petite lampée de Chartreuse approuvée par le Vatican pour supporter leur difficile existence de capillo-déficients asexués.

D’ailleurs, en parlant de sexe et de pays ridicule,  quel sorte de représentant sur terre du grand auréolé demanderait à ses fidèles égarés de ne s’unir que dans le strict but de procréer ? Il faut quand même en tenir une sacré couche – au sens figuré, celle-ci. A croire qu’il touche un pourcentage sur la vente des Renault Espace… Et pour ceux qui sont sans permis de conduire ou sans pondeuse, il ne leur restera qu’à évacuer leur frustration en investissant nos belles églises de leurs litanies lancinantes.

Cela dit, gardons à l’esprit qu’une grande partie des individus de cette planète préfèrent hurler en haut des tours plutôt que de se prêter à cette chorale amateur aux accents dépressifs.
Des gens tout à fait charmants, par ailleurs, même s’ils jettent parfois quelques pierres sur les femmes ou quelques avions sur les tours. Et tout ça à cause du plus vieux téléphone arabe du monde ou comment, 2000 ans après qu’un jeune philosophe plein de bon sens ait évoqué les bienfaits de la fidélité, un barbu hystérique pense briller aux yeux de son saint patron lorsque, voyant sa femme de compagnie esquisser un regard vers un autre adepte de la pilosité faciale, il décide gaiement de lui décocher un morceau de granit en travers de la mâchoire. Soit. On ne m’ôtera pas de l’idée qu’il y a un sacré problème de perte de l’information.

Alors voilà, moi je n’ai rien contre Dieu mais comprenez que quand je vois l’omniprésence de la bêtise chez mes comparses humains, je ne peux que m’interroger sur celui qui les a fait à son image.

Le blind test

Il est de bon ton, parfois, dans ces soirées entre amis où l’on s’amusait pourtant de manière raisonnable, de proposer aux convives l’aventure d’un quiz musical. Ce petit jeu, également appelé « blind test » chez les anglophiles avertis, s’avèrera la plupart du temps une expérience traumatisante de profonde solitude.

En effet, si les joyeux instigateurs de ce divertissement effrayant ont plus de 3 ans d’écart ou des centres d’intérêt un tant soit peu éloignés des vôtres — et par la même du bon goût, cela va sans dire — vous allez passer le reste de votre misérable soirée à faire semblant de reconnaître ce groupe qui a cartonné à l’automne 91, à tenter de balbutier une réponse à un générique de dessin-animé japonais heureusement oublié, ou à vous maudire intérieurement de ne pas avoir reconnu le 3ème mouvement de la 9ème symphonie en ut majeur de Schubert.

Mais vous aurez peut-être, par chance, échappé à la surexcitation du geek psychotique qui, après avoir emmerdé tout le monde en réclamant des heures durant une série « musiques de jeux-vidéos », finit par être exaucé au grand dam des autres participants vaincus à l’usure et s’empressera, les yeux brillants pour ce moment de gloire à sens unique, de balancer des noms asiatico-incompréhensibles à travers l’assemblée médusée par ces sons stridents d’un autre temps, entre le signal de recul d’un poids-lourd et l’électrocardiogramme d’un mourant.

Je me fais alors un devoir de ne pas rester muet devant la dictature de ce test aveugle : il vaut franchement mieux être sourd que de vivre ça !

Le cinéma

Je ne sais pas pour vous, mais personnellement j’ai de plus en plus de mal avec le cinéma.

Non mais sans rire, c’est à croire qu’à la manière des poupées qui ferment les yeux quand on les couche, l’humain sort son portable quand on l’assoie ! Tout ça dans l’espoir d’y lire le message en demi-français qu’un autre texto-maniaque illettré lui envoie sur son appareil de compagnie. Ou, encore mieux, de faire défiler les photos de son dernier voyage sur son machin tactile, affirmant par la même son appartenance à la grande chaîne des joyeux sociaux-déprimés, viande à Facebook écœurante flirtant avec les prémices effrayants de l’amitié virtuelle.

N’importe comment, pourquoi tous ces cancéreux du cerveau en devenir attendent ce foutu moment pour s’envoyer quelques ondes supplémentaires derrière la cravate ?

Bon, cela dit, il est vrai que cette détestable manie a l’avantage, par la constellation d’écrans illuminant la salle, de pouvoir situer très rapidement l’emplacement d’une bonne moitié de ces sombres crétins qui constituent les 80% de notre espèce. Cela vous laissera une chance de les éviter, en priant pour ne pas se retrouver engoncé entre deux boulimiques pop-cornophages, leur main revenant constamment piocher ces affreuses friandises dont la mastication bruyante, digne d’une portée de têtes blondes engouffrant des Kellog’s avant la messe du dimanche, ne cessera de vous rappeler pourquoi le son est réglé si fort.

Mon petit conseil pour rendre ce moment moins pénible : profitez que votre voisin ait les mains occupées sur sa balise à con portative pour installer sournoisement et durablement votre bras sur l’accoudoir. Le voir ensuite se tortiller pour trouver une position confortable, à défaut de rendre l’animal silencieux, aura au moins pour mérite de vous procurer un sentiment de satisfaction vengeresse bien méritée !