Les guitaristes de plage

Le guitariste de plage, à l’image du sportif un peu trop expérimenté pour se protéger mais pas assez pour éviter les accident, est foutrement dangereux pour lui même. En effet, comme il est un peu trop expérimenté pour rester humble, mais pas assez pour avoir un vrai public, il vous donnera l’envie quasi systématique de lui retirer des mains le morceau de bois gémissant, fabriqué par des petites mains pour un bol de riz la journée, et de le lui flanquer en travers de la mâchoire en protestation contre l’oppression du peuple chinois, la disparition des ours polaires (oui, encore), la faim en Afrique noire et toutes ces conneries qui font pleurer sur TF1 le dimanche après-midi. Mais aussi et surtout pour qu’il se taise à jamais en s’étranglant sur le massacre quelconque d’un tube unanime.

Bon d’accord, on a tous chanté sur les quatre mêmes accords pendant des heures en se mirant dans les pupilles dilatées des jeunes filles en fleur. Et alors quoi ? C’est pas parce que t’as déjà braillé dans un supermarché pour avoir une bouée-requin à 10 balles que t’es obligé, 15 ans plus tard, de supporter les jérémiades de la triste descendance de tes congénères sans leur retourner une mandale bien placée.

C’est la même chose pour le guitariste de plage : à force de frapper aux portes du paradis comme un con, faut pas s’étonner si quelqu’un le fait entrer dans la demeure de saint-papi-l’oréole plus vite que prévu.

Le blind test

Il est de bon ton, parfois, dans ces soirées entre amis où l’on s’amusait pourtant de manière raisonnable, de proposer aux convives l’aventure d’un quiz musical. Ce petit jeu, également appelé « blind test » chez les anglophiles avertis, s’avèrera la plupart du temps une expérience traumatisante de profonde solitude.

En effet, si les joyeux instigateurs de ce divertissement effrayant ont plus de 3 ans d’écart ou des centres d’intérêt un tant soit peu éloignés des vôtres — et par la même du bon goût, cela va sans dire — vous allez passer le reste de votre misérable soirée à faire semblant de reconnaître ce groupe qui a cartonné à l’automne 91, à tenter de balbutier une réponse à un générique de dessin-animé japonais heureusement oublié, ou à vous maudire intérieurement de ne pas avoir reconnu le 3ème mouvement de la 9ème symphonie en ut majeur de Schubert.

Mais vous aurez peut-être, par chance, échappé à la surexcitation du geek psychotique qui, après avoir emmerdé tout le monde en réclamant des heures durant une série « musiques de jeux-vidéos », finit par être exaucé au grand dam des autres participants vaincus à l’usure et s’empressera, les yeux brillants pour ce moment de gloire à sens unique, de balancer des noms asiatico-incompréhensibles à travers l’assemblée médusée par ces sons stridents d’un autre temps, entre le signal de recul d’un poids-lourd et l’électrocardiogramme d’un mourant.

Je me fais alors un devoir de ne pas rester muet devant la dictature de ce test aveugle : il vaut franchement mieux être sourd que de vivre ça !

Les mélomanes

Les mélomanes sont dénommés ainsi, car le terme « emmerdeur mono maniaque » était assurément trop long. De plus, la comparaison eut été fort dégradante envers les emmerdeurs, mono maniaques ou pas.

Étymologiquement, le mot vient du grec « mélo », pièce de théâtre ou film tragico-chiant et de l’américain « mane », super-héros (voyez Superman ou Spiderman…) : le mélomane est donc bel et bien un super casse-couilles.

Si le cleptomane est un voleur compulsif, le pyromane un ignoble incendiaire, le mythomane un menteur maladif et la nymphomane une femme de caractère, on voudrait nous faire croire que le mélomane, lui, est une sorte de gentil passionné de musique, le casque à l’oreille et l’oreille hardie. Mais on nous ment ! On nous fourvoie, on nous gruge ouvertement sous le couvert des mystères de la langue française ! Je le dis haut et fort : le mélomane est bien ce TOCé – prononcez « toqué »– répugnant auquel son patronyme fait référence. Il n’aura de cesse de vous alpaguer pour partager avec vous sa dernière trouvaille « musicale », un groupe de rock indépendant et obscur, aux consonances diablement psychédéliques et bigrement chiantes, et aux paroles aussi profondes que le doublage d’un épisode de Goldorak.
Bien entendu, il l’aura découvert par sa nature même de fouineur invétéré, constamment à la recherche du diamant brut caché au regard, ou plutôt aux oreilles, des honnêtes gens. Ou alors grâce à son abonnement aux Inrockuptibles. Ce magazine de prédilection du mélomane, à l’instar de ces torches-fesses en mauvais papier distribués gratuitement à la sortie des métros, permettra à celui-ci de jeter son dévolu sur un pseudo concert inaudible, au fin fond d’une cave à bruit parisienne embaumant la sueur et la mauvaise bière.

J’entends déjà s’élever l’étendard sanglant des engagés du dimanche, et autres défenseurs des causes perdues : « la musique n’est elle pas justement conçue pour parvenir aux oreilles des gens ? ». Je suis absolument d’accord avec eux : la musique est conçue pour parvenir aux oreilles des gens. Pas à celles des mélomanes.