« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde »

Bon, tant qu’à avoir attendu quatre années avant de me remettre à écrire – ou, plus exactement, à vomir des flots de haine – non sans humour – oui, je pratique l’incise gigogne¹ et je vous emmerde –, on est pas des bêtes – sans complexe aucun –, autant taper dans le sujet d’actualité².

Donc, “on ne peut pas accueillir toute la misère du monde”, qu’il dit l’autre.  Cette phrase sent déjà tellement le demi Picon bière de 15h chez Lulu que s’y attaquer me donne la sensation de faire une balayette à un unijambiste.

Déjà c’est qui, “on” ? La France des canapés Ikea en skaï beige, la peur rivée sur BFM TV et le cerveau qui vit sa vie ? Celle qui vidange sa charité dans le panier de la quête dominicale ? Celle qui, entre peur bleue et colère rouge, se veut surtout blanche ? Celle qui a oublié le dernier mot de sa devise ? Celle qui… Ouais, celle des bons gros connards, quoi³. Voilà. En toute cordialité.

Vous remarquerez d’ailleurs que ceux-ci légitiment souvent cette phrase par une proposition préalable du type “je ne suis pas raciste” ou “je n’ai rien contre ces gens-là”, proposition qui m’incline – et ce malgré ma réticence naturelle aux jugements hâtifs4 – à leur attribuer la vivacité d’esprit d’un Picard ayant baigné 8 mois dans le cocktail liquide amniotique/Kronembourg de l’utérus de sa grande soeur.

Mais sans déconner, tu la visualises bien toute la misère du monde ? Les gamins fabriquant des jean’s pour 4 centimes la journée ? Les petites-filles laissant leur demi-centimètre d’espoir de plaisirs futurs sur une lame de fortune ? Les terres sacrées violées par des bulldozers en costard ? Les visages de femme mutilés à l’acide, les geôles politiques, les familles déchirées pour des mythologies surannées, les pierres dans la gueule et les genoux dans le sol ? Ces vies remplies de rien mais de souffrance, déjà presque mortes, tu sais leur répéter ta maxime éculée – oui, sans haine – en pleine face ?

“C’est une grande misère que de n’avoir pas assez d’esprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire.” écrivait La Bruyère. De fait, peut-on réellement vouloir retenir toute la misère du monde à nos portes quand elle est déjà chez nous ?


1 Non, il ne s’agit pas d’une opération in utero sur un foetus russe. L’incise est une façon plus élégante de faire une parenthèse, bande d’incultes terreux.
2 Si vous n’avez pas suivi cette folle expérience ponctuationnelle, c’est normal : c’est peut-être délicieusement élégant mais proprement  illisible.
3 Au bout d’un moment, allons à l’efficacité et coupons court au délire anaphorique qui confine assurément à l’onanisme littéraire. Un peu comme cette phrase, finalement.
4 Si, si.