Le métro

Attention : le métro ne doit pas être confondu avec le zoo. Le zoo permet d’observer des animaux crasseux et malodorant, parqués tristement derrière des vitres sales sur lesquels s’étalent régulièrement leurs naseaux visqueux. Le métro, lui, permet en sus de se rendre d’un point A à un point B en n’utilisant presque pas ses jambes.

Je dis presque pas car, pour peu qu’un crétin ait confondu la voie avec un chemin piéton , qu’un crétin ait oublié un paquet qui fait « tic-tac » sous un siège, ou qu’un crétin dirige notre belle nation, toute cette belle machinerie se retrouvera bloquée jusqu’à la saint-glinglin, laissant une marée humaine s’autoproclamant, par mimétisme télévisuel imbécile, « otage » de ces ignobles kidnappeurs sans vergogne, véritables bourreaux modernes sans foi ni loi, affreux croque-mitaines des voies ferrées risquant les honnêtes travailleurs à utiliser leurs pieds à défaut de leur cerveau. Oups, je m’emporte ouvertement. Je m’en excuse et la referme aussitôt.

J’en reviens donc à cette incroyable basse-cours dans laquelle vous retrouverez, pêle-mêle, l’ours placide ayant confondu la barre du métro avec le dernier soutient possible à son corps informe, écrasant nonchalamment vos doigts sous son échine Sergio Tacchini, la vieille chouette toute froissée d’aigreur, couvant son strapontin en fixant de ses petits yeux perçants la chair tassée des heures de pointe, ou encore ce primate décérébré découvrant la technologie et diffusant le tube de l’Eté à travers toute la rame, conférant à ses fils ridicules qui lui sortent des oreilles une inutilité absolue.

Et, quand un unijambiste muet vient dans l’impudeur la plus complète déposer son CV sur la banquette qui me fait face, l’envie me prend soudain, dans l’espoir d’éjecter pour quelques instants cette masse informe de populace collante hors de mon espace vital, de tendre, à bout de bras et de nerfs, cet ersatz de carton rouge.

La feuille blanche

Avec elle, tout commence par un duel de regard interminable. Et puis, elle finit toujours par gagner. Gagner, c’est plus facile quand on n’a pas d’yeux à baisser.

Las et désespéré, on se décide finalement à lui en boucher un coin par deux ou trois abstractions picturales, dignes des plus barbantes conversations téléphoniques. Mais c’est compter sans les ressources perverses de la feuille, qui finit par nous tourner le dos, nous déversant son vide à la figure tel le miroir frustrant de notre profond manque d’inspiration.

Puis l’espoir renaît et quelques lettres s’assemblent. Les doigts s’agitent, prêts à libérer le stylo de son long sommeil, tel la légendaire Excalibur scellée dans la pierre. Mais tout à coup l’esprit se réveille : Arthur n’est pas là et Merlin non plus, sa magie ne sauvera pas nos mots qui en manquent cruellement. Alors cette symphonie de rien du tout jouera une dernière fois le requiem moqueur des idées sans lendemain, et, anéanti par ce rectangle blanc, on finira par le hisser au dessus de nos têtes pendantes en guise de drapeau.

Avis aux victimes de cette frêle moqueuse : je fais de très belles cocottes en papier.

Les mélomanes

Les mélomanes sont dénommés ainsi, car le terme « emmerdeur mono maniaque » était assurément trop long. De plus, la comparaison eut été fort dégradante envers les emmerdeurs, mono maniaques ou pas.

Étymologiquement, le mot vient du grec « mélo », pièce de théâtre ou film tragico-chiant et de l’américain « mane », super-héros (voyez Superman ou Spiderman…) : le mélomane est donc bel et bien un super casse-couilles.

Si le cleptomane est un voleur compulsif, le pyromane un ignoble incendiaire, le mythomane un menteur maladif et la nymphomane une femme de caractère, on voudrait nous faire croire que le mélomane, lui, est une sorte de gentil passionné de musique, le casque à l’oreille et l’oreille hardie. Mais on nous ment ! On nous fourvoie, on nous gruge ouvertement sous le couvert des mystères de la langue française ! Je le dis haut et fort : le mélomane est bien ce TOCé – prononcez « toqué »– répugnant auquel son patronyme fait référence. Il n’aura de cesse de vous alpaguer pour partager avec vous sa dernière trouvaille « musicale », un groupe de rock indépendant et obscur, aux consonances diablement psychédéliques et bigrement chiantes, et aux paroles aussi profondes que le doublage d’un épisode de Goldorak.
Bien entendu, il l’aura découvert par sa nature même de fouineur invétéré, constamment à la recherche du diamant brut caché au regard, ou plutôt aux oreilles, des honnêtes gens. Ou alors grâce à son abonnement aux Inrockuptibles. Ce magazine de prédilection du mélomane, à l’instar de ces torches-fesses en mauvais papier distribués gratuitement à la sortie des métros, permettra à celui-ci de jeter son dévolu sur un pseudo concert inaudible, au fin fond d’une cave à bruit parisienne embaumant la sueur et la mauvaise bière.

J’entends déjà s’élever l’étendard sanglant des engagés du dimanche, et autres défenseurs des causes perdues : « la musique n’est elle pas justement conçue pour parvenir aux oreilles des gens ? ». Je suis absolument d’accord avec eux : la musique est conçue pour parvenir aux oreilles des gens. Pas à celles des mélomanes.

L’Astrologie

Admettre qu’une poignée d’étoiles observées sous un certain angle, et probablement sous une certaine couche de psychotropes divers, puissent

revêtir l’apparence de toute une ribambelle de joyeuses créatures issues de ce que la mythologie grecque a créée de plus hétéroclite et de plus absurde, pourquoi pas.

Supposer que la vie de chacun est régie par des frères jumeaux à poil, un bouc à queue de sirène, un crabe ou une balance, je commence à tiquer un tantinet mais concédons.

De là à croire qu’un alignement de planète dont tout le monde se fout royalement – à part s’il vous oblige à porter des lunettes ridicules pour admirer la nuit en plein jour – puisse rendre plus jouasse mon gardien d’immeuble, au demeurant fort sympathique malgré une forte réticence à toute forme de bonne humeur, il y a un pas que je qualifierais si j’osais, et j’ose, d’astronomique.

D’aucuns diront, bien entendu, que croire en l’astrologie ça ne s’explique pas, que c’est comme croire en Dieu, Bouddha, la science ou la politique. C’est bien ce que je dis : c’est des conneries.
On nous parlera alors de repère quotidien et rassurant, à l’égard des paumés de la vie, plaçant ainsi les âneries compulsives d’une vieille bourgeoise au foyer avinée au même plan qu’une bouteille de whisky, un comprimé de Xanax ou le Journal Télévisé de David Pujadas. Ces trois derniers « repères » étant eux-mêmes, à n’en point douter, ceux de la Mme Irma de salon susmentionnée, on comprendra aisément la haute portée intellectuelle de ses élucubrations hebdomadaires qu’elle insère, pour tromper son ennui suffocant, dans l’espace situé entre « vôtre numérologie 2009» et « la fellation en 18 leçons » d’un magazine féminin quelconque. La boucle est bouclée, CQFD.

Cela dit, et je finirais là-dessus, quand j’entends parler de Vierge ascendant Taureau, Bélier voire même Sagittaire, je me console de savoir, en écartant par bon sens toute hypothèse bibliquement logique d’immaculé coït, qu’on n’est assurément pas les seuls à se faire enculer dans l’histoire.

Les dépressifs

Je hais les dépressifs. Il est chez eux, comme chez les vieux ou chez les chiens, cette détestable manie de couiner sans cesse. Dans leurs moments de détresse, les yeux mouillants, magnifiques d’égocentrisme et empestant l’histoire tragique de leur misérable existence quotidienne, ils tentent de vous engluer dans la vision sinistre du monde qui vous entoure. Oui, il vous entoure aussi, paraît-il.

Et alors la logorrhée, que dis-je, la purge verbale, vous éclabousse les oreilles sans prévenir, véritable symphonie au désespoir : ruptures douloureuses, cure de désintoxication ou animal de compagnie baveux, ayant fini ses jours sous la chaise du père sans emploi, seul, moche, gros et alcoolique. Une affaire de famille, quoi. Oui, mais voilà : ce n’est pas la vôtre…

Et, non content d’avoir déjà ruiné une bonne partie de votre moral, ils continueront de vous éjecter sans sommation leur pessimisme latent au visage, le regard presque éteint et, à les entendre, la corde presque au cou. Si ça intéresse quelqu’un, je sais faire les nœuds coulant.

La culture

Entendons-nous bien : loin de moi l’idée absurde de me placer contre la culture en tant que telle! C’est plutôt contre cette notion même de culture pour l’élite autoproclamée, sévissant à chaque recoin de dîners mondains, de dîners bobos, de dîners à étaler en photos de mauvaise qualité en dernières pages de Voici, voire de dîners tout court, que je m’élève.

Les bouffeurs de cultures, donc, me débectent. Ils ont l’allure effrayante de ces boulimiques en pleine crise, se jetant toutes oreilles ouvertes sur les derniers vernissages de Paris 6ème, s’amassant tout transpirant de mots érudits pour expliquer un rouleau de papier-cul suspendu par une ficelle, se bâfrant de petits-fours et de coupes de champagne pour finir saoul comme cochon, le nez du même rose que la toile d’un goût douteux à laquelle, soit-dit en passant, ils tournent le dos.

De ces charmantes excursions culturelles, qui ressemblent foutrement, sans vouloir être grossier, à une bonne biture où l’on peut se goinfrer à l’œil et papillonner aux milieux de la représentation de l’art contemporain (d’ailleurs beaucoup plus souvent con que temporain, si je puis me permettre le calembour), ils reviennent les yeux brillants, tout dégoulinant de cette culture non-digérée qu’ils peinent à retenir aux coins de leur bouche, pour venir vous la régurgiter devant les yeux, l’air digne et satisfait.

Je vais vous dire, moi, je suis comme tout le monde : je n’aime pas beaucoup qu’on me vomisse dessus.