Rien à signaler

 

Il s’agit de la première nouvelle d’une série qui essaie d’explorer différents rêves utopiques, qu’ils soient sociaux, politiques, économiques, dans de petites scènes de la vie « quotidienne ».J’adore voir ces idées, qui me paraissent fantastiques entre amis un verre à la main, dévoiler finalement toutes leurs implications lorsque j’essaie de leur donner vie avec quelques mots…

Tribunal Correctionnel Virtuel de Paris
Procès 20470817-67-TV
Vote de sanction par référendum populaire, sous conditions suspensives de participation.
Le seuil est fixé à 35%…

Marc fit glisser son doigt sur la surface de son terminal personnel pour sauter le prochain paragraphe. Celui-ci, un pavé indigeste en petits caractères, n’était plus lu par personne depuis longtemps. Il arrêta le défilement un peu plus bas, au niveau des informations principales.

Le prévenu, M. Thierry Verdain, résidant au 20-22 rue Beccaria à Paris XIIème, est coupable de violences aggravés, outrage et menace de mort contre un agent public dans l’exercice de ses fonctions, état d’ébriété et trouble de l’ordre publique.

La sanction demandée par le juge est une peine d’emprisonnement de 5 ans ferme et une amende de 8.000 €. La peine minimale en cas de rejet est de 30 jours de travaux d’intérêt général et une amende de 500€.

Propos de l’accusation, sous la responsabilité du procureur de la République, M. Faure :
“ Ne vous fiez pas à l’allure sympathique de M. Verdain. Cet homme est dangereux et nous devons prendre les mesures nécessaires pour l’empêcher de nuire. Le prévenu n’en est pas à son coup d’essai et a déjà été arrêté à plusieurs reprises pour violences ou propos insultant sous l’emprise de l’alcool… ” Cliquez pour voir la suite.

Propos de la défense, sous la responsabilité de l’avocat du prévenu, Me Duquenne :
“ Il est vrai que les actes commis par mon client, M. Verdain, sont graves et je tiens à préciser que celui-ci en a entièrement conscience et les regrette. Mais je vous en conjure, pensez aux conséquences d’un isolement prolongé pour mon client, déjà psychologiquement fragilisé et père d’une petite fille de…” Cliquez pour voir la suite.

Marc déroula les textes complets de l’accusation et de la défense. Il les survola, plus par acquit de conscience que par réelle motivation. Sa décision était déjà prise. De même, il ne prit pas la peine de regarder la vidéo enregistrée le jour de l’évènement : l’extrait qui tournait en boucle dans la partie “pièces à conviction” ne laissait déjà aucun doute sur l’identité de l’accusé et son comportement.
Il continua de pianoter sur son terminal et valida l’accès à la page de vote. La fenêtre habituelle d’avertissement légal se matérialisa sur l’écran. Il la fit tout de suite défiler mais son cerveau ne pouvait s’empêcher de reconstituer le texte qu’il connaissait par cœur :
Avant validation de sa voix, tout citoyen reconnaît avoir lu et examiné avec l’attention la plus scrupuleuse les charges portées contre M. Verdain, de ne trahir ni l’intérêt de l’accusé, ni ceux…

« Oh, tu m’écoutes un peu? » La phrase extirpa brutalement Marc de ses pensées. Il reprit tout à coup conscience du bruit ambiant, le brouhaha de la terrasse des Deux Magots était assourdissant à cette période de l’année, presque autant que le bal incessant des voitures s’arrêtant au feu et repartant l’instant d’après. Sa femme soupira, agacée. Le soleil d’août sur sa peau mate conférait à son visage une contrariété presque divine.
« Deux minutes, je finis ça…
– Mais ça fait un quart d’heure que tu me dis ça! T’es encore sur le “rèf” du soûlaud ? Va falloir te décider, il est déjà tombé depuis hier soir !
– Oui je sais, mais je ne l’ai reçu qu’en sortant du boulot et je me tâte un peu. Bon, quand même je pense que…
– Tu vas encore voter “non” c’est ça? Toujours à jouer ton sauveur, à croire que les gens peuvent apprendre de leurs erreurs… » La façon dont Sofia monta les yeux au ciel en laissant sa phrase en suspend le crispa. Elle le faisait se sentir comme un gamin, incapable de prendre les bonnes décisions.
« C’est bon, je crois qu’à presque 50 ans je suis assez mature pour voter, non ? Tu sais que j’aime pas quand tu veux tout diriger comme ça…
– Quelle mauvaise foi! S’étonna-t-elle en riant. En général, t’aime plutôt bien que je mène la danse… » Elle avait posé sa main sur la sienne en esquissant un sourire complice. Ses yeux dorés s’agrandirent imperceptiblement. Marc soutint son regard quelques instants avant de pencher à nouveau la tête vers son terminal. Un détail le fit sourire.
« D’ailleurs, tu sais comment est immatriculée sa bagnole ?
– Hein? Quelle voiture?
– La voiture du mec, là… Tu connais son numéro d’immatriculation ? 574 RAS 2897.
– Oui et alors? Je ne vois pas très bien le rapport. Elle lâcha sa main et son ton se refroidit. Pourquoi ne comprenait-il jamais rien, est-ce qu’il l’écoutait seulement ?
– Ben R.A.S., Rien à signaler ! Si c’est pas un signe de la bonne foi du type ça!
– Je comprends rien à ta blague, c’est encore une référence à je ne sais quel vieux truc débile des années 20 ?
– Non, juste un vieux code de flics ou de militaires, je ne sais plus trop…
– Super… Au lieu de faire de l’humour, tu devrais réfléchir à ce que tu fais et voter, qu’on en parle plus! Les yeux de Sofia s’écarquillèrent quelques instants en fixant un point derrière son dos. D’ailleurs, je vois ta fille qui arrive, alors si tu peux payer l’addition. »
Il se retourna pour regarder Clémentine qui attendait au passage piéton, de l’autre côté du boulevard Saint-Germain. Elle avait encore changé de couleur de peau pour un fuchsia électrique. « Je te rappelle qu’elle est aussi la tienne. Même avec cette couleur… » Glissa-t-il à sa femme. Alors il valida son refus au référendum, avant de se connecter au café pour payer la note.

Pour sa part, en voyant le regard outré de sa mère attablée au café, Clémentine ne regrettait pas d’avoir laissé la presque totalité de son argent de poche chez New Skin tout à l’heure. Le petit bonhomme passa au vert et elle s’élança d’une allure pleine de défi vers ses parents.

Puis le temps s’arrêta. Il y eut un crissement assourdissant de pneus, suivit du  “Attention, Clem!” de son père, beaucoup trop tardif. Puis le choc. Violent, brutal, brûlant. Et, de plus en plus rapidement, le ciel aveuglant , les éclats de soleil sur les toits haussmanniens, la tôle rouge, rouge comme les yeux bouffis qui la regardèrent passer derrière leur pare-brise étoilé, rouge comme le bitume qui mit soudainement fin à cet enchaînement d’images.
Alors son cœur cessa de battre, ses yeux figés sur les trois lettres centrales de la plaque d’immatriculation de la voiture folle. Trois lettres dont l’ironie résonna dans sa tête jusqu’au dernier moment : R…A…S…, comme dans ce vieux film d’action qu’on avait regardé un soir avec mon père, se souvint-elle. Rien à signaler…

Le cancer

Attention, ce texte n’est pas drôle. Oui, pas drôle : je suis las, j’ai envie de changer de style d’écriture, marre de ce carcan de blog à la con qui m’oblige toujours à essayer de vous faire marrer!

Oui, bon d’accord, on pourrait essayer de rire un peu. C’est vrai, regardez-moi ces petits troupeaux d’enfants malingres, toujours le regard brillant dans leur costumes de bonzes anorexiques, et cette culpabilité insupportable qui t’envoie à la figure, quand ils affichent leur courage agaçant, alors que toi tu te mets à chialer parce qu’une putain de feuille de papier t’a coupé le doigt. Les petits cons. Et puis ces clowns d’une mélancolie pathétique qui errent dans les couloirs des mouroirs pour gosses, faussement égayés à grand coup de peintures d’animaux trop lumineuses pour être honnêtes, essayant de faire oublier à ces ex-têtes blondes déjà fantomatiques que la plupart ne verront pas la fin de cette saloperie d’hiver.

Ca y est, je deviens vulgaire. Foutu cancer. Mais quel connard de médecin à l’ironie douteuse t’a refilé un nom pareil, tumeur ? C’était quoi le souci avec « tumeurpa » ? Trop d’espoir ? Publicité mensongère ?

Je n’aime pas ton nom. Ou tous tes noms d’ailleurs. Cancer, tumeur, carcinome, mélanome, connerie bégnine ou vrai saleté maligne foudroyante. Ces mots-là me donnent froid, ces mots de rien du tout, dans leur habillage sournois médico-incompréhensible, me font plus frissonner que le souvenir de ma première vague, de la première caresse d’un corps nu sur le mien ou que l’idée d’enfiler un slip de bain pour aller à la piscine municipale.

Alors oui, ce texte n’est pas drôle. Oui, penser à ça me fait sentir comme l’ombre du bouffon du roi d’un pays pluvieux 1. Et puis après ? Allumez la télé, vous tomberez probablement sur une télé-réalité qui vous fera tout oublier en vous vautrant avec facilité dans la condescendance facile envers vos congénères les plus idiots.

1 Merci Charles et désolé pour les modifications apportées, tu ne m’en voudras pas j’espère.

Les guitaristes de plage

Le guitariste de plage, à l’image du sportif un peu trop expérimenté pour se protéger mais pas assez pour éviter les accident, est foutrement dangereux pour lui même. En effet, comme il est un peu trop expérimenté pour rester humble, mais pas assez pour avoir un vrai public, il vous donnera l’envie quasi systématique de lui retirer des mains le morceau de bois gémissant, fabriqué par des petites mains pour un bol de riz la journée, et de le lui flanquer en travers de la mâchoire en protestation contre l’oppression du peuple chinois, la disparition des ours polaires (oui, encore), la faim en Afrique noire et toutes ces conneries qui font pleurer sur TF1 le dimanche après-midi. Mais aussi et surtout pour qu’il se taise à jamais en s’étranglant sur le massacre quelconque d’un tube unanime.

Bon d’accord, on a tous chanté sur les quatre mêmes accords pendant des heures en se mirant dans les pupilles dilatées des jeunes filles en fleur. Et alors quoi ? C’est pas parce que t’as déjà braillé dans un supermarché pour avoir une bouée-requin à 10 balles que t’es obligé, 15 ans plus tard, de supporter les jérémiades de la triste descendance de tes congénères sans leur retourner une mandale bien placée.

C’est la même chose pour le guitariste de plage : à force de frapper aux portes du paradis comme un con, faut pas s’étonner si quelqu’un le fait entrer dans la demeure de saint-papi-l’oréole plus vite que prévu.

Les catholiques de droite

Là, d’entrée, j’hésite : je sais bien que je ne vais pas me faire des amis avec ce texte… D’un autre côté, c’est vrai aussi que je m’en fous à peu près autant que de la disparition des ours dans le grand Nord 1, donc allons-y.

C’est facile me direz-vous de taper sur les catholiques de droite, c’est un peu comme s’acharner sur les chauffeurs de taxi séropositifs ou les unijambistes racistes, même si je dois avouer que ces derniers ne courent pas les rues ou seulement à moitié.

Oui mais bon, voilà, ces deux exemples de premier choix n’incluent pas le paradoxe odieusement hypocrite contenu dans les mots “catholique de droite”, véritable exemple d’oxymore qui devrait remplacer dans les manuels scolaires cette saloperie d’obscure clarté tombant des étoiles, dont tout le monde se fout autant que moi des ours polaires susmentionnés 2.

Je finirai par ce cocasse verset biblique qui prouve, une fois de plus, que les premiers gourous de ce monde ne manquaient pas d’humour : “Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.” (Marc 10:25).

Alors, deux de choses l’une, soit la plupart des cathos de droite sont pauvres (ça va, on peut plaisanter…), soit ils ont une confiance inquiétante dans la souplesse des camélidés blatérant du désert.

1 C’est pas vrai, c’est une phrase purement réthorique, vous me voyez sincèrement chagriné par l’anéantissement de la seule créature, avec le Bibendum Michelin, qui réussit l’exploit d’être à la fois ridicule et effrayante.
2 Toujours réthorique.

« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort »

Pour inaugurer (clap !clap ! 1)  cette nouvelle catégorie sur les phrases à la con, j’en ai choisi une qui me tient particulièrement à cœur : « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ».

A dire vrai, cette phrase ne m’évoque que le vomissement verbal d’une pauvre adolescente qui, parce que l’assistant croque-mort aux veines pré-tailladées lui servant de copain a foutu le camp avec la belle aux bois-dormant, se rassure dans le rabâchage vain de cette rengaine crétine.

Mais ça ne marche pas comme ça, petite : la première partie des choses qui ne vous tuent pas, comme éviter les joints des carrelages dans les supermarchés ou se poser des questions sur la vie (voire les deux en même temps, ce n’est pas exclu) ne vous tuent pas et c’est  tout.  Ce n’est déjà pas si mal.

La seconde partie des choses qui ne vous tuent presque pas, comme perdre une main dans une moissonneuse-batteuse, voir le dernier souffle sortir du corps de son enfant ou se faire mutiler le visage parce qu’on est une femme dans un monde de cons, ça vous rend à n’en pas douter beaucoup plus faible.

1 Oui, vous ne rêvez pas, il s’agit bien d’une tentative de représentation onomatopéique d’applaudissement ! Et non, je n’ai pas honte de m’auto-applaudir.